Je viens de terminer la lecture attentive de « Oran, 5 juillet 1962 » de Guy Pervillé que l'auteur a eu la délicatesse de me faire parvenir.
Ce dont je le remercie ainsi que son éditeur. Il m'avait demandé l'autorisation de reproduire sur la couverture la photo publiée dans l'Agonie d'Oran. Elle est en effet particulièrement explicite : Ces femmes, ces enfants, ces civils emmenés, bras en l'air, vers leur funeste destin...
On ne saurait reprocher à Guy Pervillé d'avoir négligé le moindre écrit sur ce drame officiellement occulté qui a fait l'objet d'une quantité considérable de publications. Celles qui ont précédé l'ouverture des archives ne s'appuyaient que sur les récits des témoins, des rescapés, des familles de victimes et de disparus. Les ouvrages de Maurice Faivre, de Jean Monneret puis de Jean-Jacques Jordi ont, en grande partie, confirmé par les documents les effroyables témoignages.
Ce sont là, les faits.
Leur interprétation prête à controverse. C'est même la règle en histoire.
J'écarterai d'emblée le livre plaidoyer pro domo du Général Katz qui donne quelques renseignements utiles mais dont on doit surtout retenir l'aveu de la collusion organisée et entretenue par lui entre les « forces de l'ordre » et le FLN dans sa lutte contre son seul ennemi : La population européenne d'Oran assimilée au grand méchant loup : l'OAS !
Tout était permis : perquisitions sauvages, arrestations arbitraires des hommes de 17 à 97 ans, brutalités lorsqu'on découvrait quelque vieille pétoire de la guerre de 14-18 et tirs sur les civils en prenant la rue en enfilade ; (J'ai failli recevoir une balle « perdue », je l'ai gardée !)
Les vraies armes étaient cachées, nous prenait-il pour des demeurés ?
Je témoigne aussi qu'il est exact que les gens raflés étaient remis en liberté à proximité des quartiers arabes. Ce fut le cas pour mon beau-père, André Vincent, attaché de préfecture, raflé dans le groupe des « huiles ».
Mais nous avions des antennes qui nous prévenaient pour les récupérer.
Je reviens brièvement sur le bilan de Katz, pour la journée du 5 juillet : 25 morts européens ! S'il n'y avait eu que 25 morts, la population européenne ne se serait pas affolée davantage que les jours et les mois précédents !
Il faut n'avoir pas connu ce que nous avons subit depuis le mois de mars pour le croire !
Guy Pervillé pose une question logique : Pourquoi les Européens d'Oran sont-ils sortis de chez eux ce jour-là ?
Tout le monde était pendu à la Radio, seule source d'information. Or, la Radio, le 4 juillet au soir, a donné l'ordre d'ouvrir les commerces et les bureaux.
Je n'ai jamais entendu parler d'une grande fête pour le 6 juillet par aucun témoin, ni par mon mari, ni par mon père demeurés à Oran. A Alger, peut-être ? Je ne sais pas. Donc, au Plateau
Saint Michel, mon époux a ouvert sa pharmacie, Jean-Paul Reliaud, sa boulangerie, leur copain juif dont j'ai oublié le nom, sa boucherie.
Tous trois ont échappé à la mort, comme je l'ai publié dans l'Agonie d'Oran et se sont réfugiés dans la Gare. Je précise que les armes qu'ils possédaient ou entreposaient avaient été jetées à la mer avant la fin juin. C'était devenu une « promenade ».
L'évaluation de Jean-Marie Huille de 700 morts semble plus proche de la réalité. Sans doute ne saurons-nous jamais l'entière vérité ni le nombre de Musulmans assassinés par leurs coreligionnaires pour mille motifs sans doute très éloignés de la politique.
Il me semble que l'importance accordée par l'auteur au ressentiment des Indigènes du Village Nègre et de la Ville Nouvelle en raison des attentats de l'OAS est exagérée. Certes des meneurs ont chauffé les esprits en appelant à la vengeance mais cela ne ressemble pas à ce que je connais de leur façon de penser. Ils avaient parfaitement conscience de la souffrance que leurs propres attentats, les enlèvements, avaient causé aux Européens d'Oran.
C'était un prêté pour un rendu et « laisse les morts enterrer les morts » ; Une forme de respect pour l'adversaire qui a été l'ami. Mais cela ne faisait pas l'affaire des politiciens du GPRA ni de Boumediene.
En revanche, je crois au Takouk. J'y reviendrai.
L'OAS d'Oran, Qu'était-ce ? Les collines et les réseaux étaient constitués de civils le plus souvent armés de bric et de broc, d'armes récupérées ou de chasse, et de militaires plus ou moins déserteurs qui possédaient de bonnes armes et tous savaient s'en servir.
Ils pouvaient compter sur un maillage de familles et d'amis pour les cacher, les nourrir et les évacuer en cas de nécessité.
A ce titre, on peut dire que toute la ville européenne était OAS. Ce n'est pas plus exact que de dire que sous l'occupation allemande tous les civils français étaient résistants.
Sympathisants efficaces, indispensables, c'est certain. Mais nous avions tous aussi des amis communistes dont on se méfiait, des amis arabes qu'on sentait déchirés et des amis juifs qui penchaient parfois d'un côté et parfois de l’autre et qui furent longtemps indécis.
Un nombre significatif parmi les plus fortunés quitta l'Algérie très tôt, dès 1956. Des familles Catholiques firent de même un peu plus tard. Je regrette beaucoup que mon père ne l'ai pas fait.
Ceux qui restèrent, firent preuve du même courage dans les commandos. Il est donc très aléatoire de tenter de regrouper tous les oranais sous un seul vocable.
J'aurai bien des anecdotes à raconter. Je le ferai peut-être si j'en ai la force et le temps.
Donc, à la fin de mois de juin 1962, une grande partie des femmes et des enfants avaient quitté Oran, le bled s'était vidé au profit de la ville et les familles s'étaient regroupées dans le centre et certains quartiers. Ces gens n'étaient ni OAS ni impliqués dans les conflits des mois précédents.
Ils survivaient précairement avec l'aide de la Croix-Rouge, des prêtres et Religieuses et des autres associations caritatives qui ne s'étaient pas éteintes faute de dirigeant et de subsides.
La solidarité des familles fut exemplaire.
Les combattants les plus connus de l'OAS étant partis fin juin et les jeunes mobilisés par le Plan Simoun expédiés en France ou en Allemagne, Oran était un navire sans gouvernail, qui courait sur son aire...
Cette population restante manifestait un dégoût profond pour la France, son gouvernement, son armée « qui n'avait pas viré sa cuti », et surtout son chef, De Gaulle.
Les drapeaux français étaient jetés dans les poubelles avec les casseroles cabossées des concerts nocturnes.
Comment imaginer une seconde que ceux-là auraient l'idée saugrenue d'un baroud d'honneur ?
- DR – In lettre de VERITAS N° 174 juillet & Août 2014 -
- Famille à la recherche de "bribes" des disparus au petit lac à Oran.
Et pourtant, ils n'avaient pas peur !
Dégoûtés, fatalistes, décidés à rester ou à gagner l'Espagne, l'Italie, l'Amérique et « au pire » la France, plus tard, quand les choses se seraient tassées. Voilà ce qu'ils disaient... en embarquant les enfants, à tout hasard...
Et les nouveaux maîtres de l'Algérie savaient cela car nous nous connaissions bien.
Donc il fallait faire peur.
Voilà pourquoi je suis certaine que le massacre du 5 juillet fut organisé et préparé. Peut-être, si les archives algériennes s'ouvrent, si elles n'ont pas été trop caviardées ou détruites, oui, peut-être le saurons-nous un jour.
Je reviens au takouk. C'est un accès subit de folie furieuse. J'ai eu l'occasion, enfant, de voir le troupeau de bovins de la ferme, soudain affolé, courant en trombe, écrasant tout sur son passage, jusqu'à la Grande Sebka, le lac salé à sec, traversant jusqu'au pied du mont Tessala, où, soudain calmées, les bêtes tournaient en rond, l'œil encore fou et furent ramenées au bercail. L'une d'elle avait-elle été piquée par un taon ? Sans doute, et fuyant la douleur, toutes les autres avaient suivi.
La foule indigène devenue hystérique s'est ainsi conduite comme un troupeau fou. Le taon, c'était l'orateur qui l'a gonflée de peur, criant « L'OAS, c'est l'OAS ». Mais qui a donné l'ordre à l'orateur ?
Qui a tiré les deux coups de feu l'un sur la Place d'Armes, l'autre sur la Place Kargentah, à peu près simultanément ?
Cette folie de groupe n'est pas propre à ce drame. On l'a vu à la Libération, on l'a vu à la Révolution pour ne parler que de la France...
Le film de Jean-Pierre Lledo montre quelques personnages honteux de cette conduite (à côté d'autres qui en sont fiers !)
Boualem Sansal raconte aussi des témoignages de regrets et j'ai souligné, comme le fait aussi Guy Pervillé, le courage de ceux qui s'opposèrent aux tueurs. Cela n'excuse pas les débordements de sauvagerie.
Enfin je voudrais dire combien je trouve dérisoire la controverse qui oppose nos chercheurs, nos historiens. Je suis persuadée, je l'ai écrit maintes fois, que tous n'ont que le même désir de vérité et que « l'intuition » peut orienter le savant en histoire comme en physique ou en médecine. Le temps doit être à la réconciliation des mémoires en laissant le champ aux points d'interrogations qui subsistent.
Le livre de Guy Pervillé apporte une connaissance globale de tout ce qui s'est écrit sur cette sanglante journée et l'analyse de ces écrits.
Il nous faut attendre que des « témoignages nouveaux, venant surtout d'Algérie (viennent renouveler) profondément les connaissances que nous avons aujourd'hui » (P. 258).
Voilà ce que la lecture attentive de ce livre capital a inspiré à l'oranaise que je suis. ■
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